mercredi 28 février 2018

Passage Saint-Ange, un roman de Claude Bailly (Hélène Chaulet, 1914-1994), alias L.N. Lavolle


« Le Livre tv » : Passage Saint-Ange de Claude Bailly (Hélène Chaulet, 1914-1994), alias  L.N. Lavolle, alias Denise Glize

Passage Saint-Ange, un récit de Claude Bailly, publié en 1964 dans la collection « Le Livre tv » sous le n° 11, aux éditions de l'Amitié, illustré par J. Daynié, a des aspects qui devraient interpeller les lecteurs d’aujourd’hui.
Précisons d’abord que Claude Bailly est un des pseudonymes d’Hélène Chaulet (née au Vietnam en 1914, décédée à Biarritz en 1994), passionnée d’archéologie et d’ethnologie, grande voyageuse. Elle est surtout connue sous pseudonyme de L.N. Lavolle (L.N. pour Hélène) et sous celui, plus rare, de D. Glize (pour Émeutes à Kaboul en 1971).


L’action de Passage Saint-Ange, dans le 17e arrondissement de Paris, se situe dans un quartier populaire aujourd’hui disparu (ou plutôt complètement transformé en une impasse bordée de hauts immeubles modernes et d’arbres, entre l’Avenue de Saint-Ouen et la Rue Jean Leclaire).
Comme toujours dans ses romans, avec un grand souci documentaire, Claude Bailly écrit, p. 8 : « Les lampadaires éclairaient  les 3 blocs rouges des H.L.M., les trottoirs jonchés de poubelles et de détritus, et, plus loin, les masures du passage Saint-Ange, qui venaient buter contre le haut mur que les enfants nommaient entre eux la Citadelle ».


Ces enfants d’origines ethniques très diverses (Maghrébins, Arméniens, Chinois, Iraniens, Polonais, Hongrois, Italiens, Portugais) se nomment Jacinto, Dominik, Berjouk, Bela, Satvi, Reza, Nam et Clara. Ces enfants du Clan des chats (parce que l’eau à l’hôtel est coupée très tôt), formait « une jeunesse grouillante, mal lavée, mal peignée, qui devait se coucher sans se donner la peine de se déshabiller » et qui ne mangeait pas à sa faim. Elle s’oppose parfois aux enfants des H.L.M. rouges, habitants légaux et bien nourris.  Le Clan des Chats récupère des bouteilles dans les poubelles pour les vendre à un marchand du quartier.
Parce que la cage d’Akbar, un mainate apprivoisé et une radio transistor portative ont disparu, la police soupçonne les enfants du quartier qui redoutent qu’elle découvre que les habitants vivent « dix ou douze par chambre ». « Les chambres d’hôtel changeaient sans cesse d’occupants. Passage Saint-Ange, les gens achetaient trois ou quatre heures de sommeil, comme d’autres achètent un morceau de pain » (p. 26). Nicole, une fille des H.L.M., déclare à Jacinto, chef du Clan des Chats, le plus apte à comprendre les nombreuses langues du quartier,  que « la citadelle sera bientôt démolie puisqu’on va raser les taudis du passage, avec leurs puces et leurs punaises (…) pour y bâtir d’autres H.L.M. ».  Il est vrai que le passage est une « ruelle putride aux rigoles stagnantes d’eau de lessive, aux tas de légumes pourris, lancés par des mains négligentes du haut des fenêtres. »  
Quand la police visite les hôtels, les occupants en situation irrégulière ont eu le temps de fuir mais Jacinto, l’adolescent portugais de 13 ans, est emmené au poste … où. il joue bientôt aux cartes avec les agents ! En fait, seuls le chat de gouttière Nakib et le chien Nabi qui sert de guide à l’aveugle Clara ont aperçu le voleur.


Dirigé cette fois par le jeune Chinois Nam, le Clan des Chats décide de faire des recherches au marché aux puces de Saint-Ouen pourtant très éloigné. Il faut traverser le boulevard périphérique avant d’arriver aux roulottes de tziganes où la jeune aveugle Clara chante accompagnée par le guitariste tzigane Matéo, l’oncle de Bela, qui reconnaît en elle une grande artiste. Un journaliste de la télévision assiste à la scène... Les enfants se dispersent pour visiter les brocanteurs de la Porte de Clignancourt, d’autres, le coin de la cité Jules-Vallès ou le marché Paul Bert.
En revenant vers une fête foraine, les enfants entendent des cris. C’est le chat Nakib et son ami le chien Nabi qui provoquent le singe dressé Joko et mettent son dompteur en fureur. En fait, Joko a fait une fugue la nuit dernière et c’est lui qui a pris la cage d’Akbar et le poste de radio. Le Clan des Chats est soulagé.           
Mais Clara a disparu. Le Clan des Chats se rend au poste de police, récupère Jacinto et demande que l’on retrouve Clara. Les recherches sont vaines jusqu’au moment où les enfants et les adultes du quartier se tenant devant trois appareils de télévision d’un bazar du passage regardent un reportage intitulé « Une heure au marché aux puces ». Soudain, le documentaire se termine sur le chant d’une enfant à la voix inoubliable et merveilleuse : c’était Clara accompagnée par le guitariste Matéo.


Ce roman, sans être pesant, prône la tolérance et la solidarité, des qualités aussi mises à mal aujourd’hui que parfois les droits des enfants et ceux des migrants. Certes, le récit n’est pas sans défaut. Qui peut croire qu’un chat et un chien puissent se conduite en détectives ? Le marché aux puces paraît bien éloigné du Passage Saint-Ange. Sur 8 pages, l’auteur intègre un conte indien, Les deux frères, qui brise le rythme du récit.
Néanmoins, ce roman mérite d’être redécouvert car il n'a rien perdu de son actualité. 

dimanche 25 février 2018

Collection "Le livre tv" aux éditions de l'Amitié G.T. Rageot (1963-19*64)


La collection « Le livre tv » aux Éditions de l’Amitié G.T. Rageot

Les Éditions de l’Amitié créent l’éphémère collection illustrée au format de poche : "Le Livre TV" qui ne fournira que 13 titres de 1963 à 1964. Pourquoi ce titre ? Parce que la couverture cartonnée et quelques hors-texte présentent des illustrations photographiques inscrites dans un écran de téléviseur aux bords arrondis ! On est passé en France de moins de 4000 récepteurs en 1950 à plus d’un 1 400 000 en 1959 et la 2e chaîne va apparaître en 1964. C’est le type de collection qui ne change que d’enveloppe.
Cet astuce de l’image inscrite dans un écran de l’époque n’est même pas original puisque le procédé est déjà utilisé depuis 1961 et jusqu’en 1963 par les édition O.D.E.J. pour leur collection « Junior ». 
À l’heure où l’on diffuse les feuilletons : Thierry La Fronde, héros médiéval créé par Jean-Claude Deret, superbement incarné par Jean-Claude Drouot, Le Chevalier de Maison-Rouge (d’après Dumas) avec le virevoltant Michel Le Royer, et Au nom de la loi, inséparable de l’image de Steve Mac Queen (Josh Randall) et de sa carabine au canon scié, la collection ne publie aucun récit lié à la télévision, à une exception près.
En effet, dans un récit situé dans le XVIIe arrondissement de Paris, intitulé Passage Saint-Ange, l’auteur Claude Bailly (c'est un des pseudonymes d'Hélène Chaulet) fait apparaître, pour la plus grande joie de ses jeunes amis du quartier populaire, la jeune fille aveugle Clara, « à la voix d’une pureté merveilleuse », sur un écran de télévision. (Nous reviendrons bientôt sur ce roman).  


Chaque volumes est illustré de deux photographies en couleur et d'illustrations en noir et blanc assez nombreuses.
On rencontre des rééditions d’auteurs connus comme Michel-Aimé Baudouy : Bruno, roi de la montagne, un récit datant de 1953, raconte la vie de l’ourson orphelin Bruno, recueilli par une fermière des hauts plateaux des Pyrénées. Echappé, brutalisé par des bandits, rendu brutal par les mauvais traitements, victime d’un truand déguisé en « faux-ours », Bruno est finalement recueilli par son ancienne maîtresse qui adoucit son comportement. Plusieurs romans ont déjà été publiés dans la collection « Heures joyeuses », chez Rageot.
De Geneviève Dardel, Sur les traces du « Pourquoi-Pas ? » qui ressuscite le Commandant Charcot connaît une nouvelle vie, bien après son édition originale en 1945.  De L.N. Lavolle (Hélène Chaulet), on publie en 1963 une nouveauté : L’Otage de Rome. C'est l’histoire d’un esclave libéré, au IIIe siècle après J.C., en Sicile, à l’époque où Constantin, le futur empereur, est encore adolescent. Le récit donne des aperçus intéressant sur la civilisation romaine.
Robert Brassy publie aussi une nouveauté en 1963, Johan des fjords. L’orphelin Johan, héritier de ses ancêtres vikings a une passion pour la mer. Recueilli avec son amie Jouetta par une famille de pêcheurs pauvres, après une année de mauvaise pêche, le garçon et son amie doivent aider, à l’intérieur des terres, un riche fermier pour la moisson. Conquis par la gentillesse des deux enfants, l’homme leur lègue ses biens.   


Sont aussi des rééditions, les traductions d’ouvrages de E.T.A. Hoffmann (Histoire d’un casse-noisette) de l’Allemand Fritz Steuben, alias Erhard Wittek (1898-1981). Steuben était très présent, très tôt, chez Rageot, dans la collection "Heures joyeuses" pour le cycle de l’Indien Tecumseh (9 volumes en tout) dont on réédite seulement deux titres Pieds-agiles et Filles à l’arc et Flèche volante. Le récit de H. Queling, En route pour l'Himalaya, déjà édité dans la collection "Heures joyeuses"en 1947, est aussi une traduction de l'allemand.
Trois traductions d’Édith Vincent apparaissent : Un garçon manqué de A. Sétala, Le Trésor de Quarocuya de K. Mast (1963) et Une année merveilleuse de N. Barnes.
  Le Trésor de Quarocuya situe son action dans la montagne, à la frontière entre Haïti et Saint-Domingue. Les garçons Ramon et Delio poursuivent le meurtrier qui a blessé et dévalisé le père de Delio. Ils sont aidés par le Blanc Don Carlo qui les protège et dirige une  expédition en montagne. Après l’arrestation du meurtrie repéré par Ramon, les deux garçons pourront réaliser leur rêve : être chauffeurs de camions en ville.
 Une année merveilleuse se passe en Amérique chez des gentlemen-farmers. La jeune fille Ellen (12 ans) quitte le Kansas pour le Colorado où son père, ancien avocat,  devient planteur de pommiers. Ellen s’adapte d‘autant mieux à sa nouvelle vie qu’elle se lie d’amitié avec le jeune Anglais Ronnie. Randonnées à bicyclette, amitié partagée et vie familiale harmonieuse justifient amplement le titre du récit. 
  Traduit de l’italien Cent lires à l’aventure de G. Anguissola raconte les péripéties d’une pièce de cent lires depuis son acquisition par une jeune écolière pour acheter son journal, jusqu’au jour où elle s’enfonce dans le sable du désert, après l’accident d’avion dont est victime le dernier propriétaire de la pièce, un jeune soldat.
Malgré l’artifice du procédé, le récit conserve un certain intérêt.
  Les illustrateurs de la collection n’ont guère laissé de traces, sauf Pierre Rousseau (L’Otage de Rome) et Bernard Ducourant (Sur les traces du « Pourquoi-Pas ? »).

Voici 4 exemples tirés de la collection "Junior" éditée par O.D.E.J. à Paris. Elle publie des romasn classiques ou populaires pour garçons et filles à partir de 12 ans.
Si l'illustration de couverture s'inscrit dans un espace évoquant un écran de télévision, aucune allusion n'est faite sur ce moyen de communication en pleine expansion.


   


jeudi 15 février 2018

Johnny Hallyday dans la presse des jeunes, début années 60


Johnny Hallyday dans la presse des jeunes au début des années 60

Tant pis si l’actualité tonitruante sur le sujet ne s’y prête pas, voici quelques images du chanteur apparues surtout dans le journal « Pilote » en 1962 et 1963.

Marcel Bisiaux, est nommé rédacteur en chef du journal « Pilote » en janvier 1962. Sous-titré « Grand magazine des jeunes » puis « Magazine des jeunes de l’an 2000 », l’hebdomadaire cible maintenant un public adolescent et parle bientôt des « copains », avec l’assentiment de Georges Dargaud et la désapprobation de Goscinny, de tout temps réfractaire à toutes les modes. 
A la fin de l’année, quelques couvertures sont vouées aux « vedettes » de la chanson. (Le magazine Salut les copains, né en 1962, qui tire alors à plus d’un million d’exemplaires suscite des envies de copier une formule qui réussit et Marcel Bisiaux veut adapter Pilote à la nouvelle mode en faisant intervenir vedettes de la chanson et animateurs proches de ce courant. 
C’est une lourde erreur car les lecteurs, dont on a sous-estimé le goût et l’intelligence, ne suivent absolument pas.  
En 1963, Marcel Bisiaux cède de plus en plus à la mode yé-yé. Anne-Marie Peisson, speakerine télévisuelle, et François Janin interviennent dans le journal, tout comme Jacqueline Caurat pour la philatélie. On recrute Roger Couderc et son fils Laurent pour parler des sports. 
Outre Johnny Halliday, les chanteuses Françoise Hardy, Sheila et Sylvie Vartan accaparent la Une du magazine. Tout cela  provoque une chute vertigineuse des ventes. Un événement annexe a pu jouer en introduisant une mauvaise image de la génération « yé-yé ». C’est la fameuse fête organisée le 22-23 juin 1963, place de la Nation par Daniel Filipacchi, créateur du journal et de l’émission de radio correspondante sur Europe n° 1 : Salut les copains. (On fête le 1er anniversaire du mensuel). Des journalistes comme Philippe Bouvard et Pierre Charpy (« Salut les voyous ») se déchaînent alors contre cette jeunesse turbulente. Heureusement à contre-courant, Edgar Morin, en juillet 1963, fait part de ses réflexions plus positives dans Le Monde.


Fin 1963, c’est  la naissance d’un vrai journal de bandes dessinées quand Dargaud renvoie Bisiaux, menace de saborder « Pilote » et appelle Goscinny et Charlier pour sauver le journal. Ils deviennent corédacteurs en chef en septembre (Charlier jusqu’en octobre 1972).

Johnny Hallyday devenu « L’idole des jeunes » (expression vient d’une chanson de Ricky Nelson, on l’oublie souvent), a déjà imposé sa musique rock et « yé-yé » (selon Edgar Morin dans le journal « Le Monde »).


Johnny Hallyday s’est déjà produit auparavant au Palais des Sports en 1961, à l’Olympia en 1962. Il est apparu seul ou avec Sylvie Vartan sur des couvertures du mensuel « Salut les copains », en 1962, sous la houlette de Frank Ténot et Daniel Filipacchi, animateurs de l’émission éponyme sur Europe N° 1 depuis 1959. (Le titre est inspiré par une chanson de Pierre Delanoë chantée par Gilbert Bécaud depuis 1958).


En 1969-70, paraissent sept numéros de l’hebdomadaire « Johnny le journal de l’âge d’or ». Cet illustré mêlant des bandes dessinées actuelles de qualité médiocre et des classiques de l’âge d’or américain avait peu de chances de durer, surtout que le nombre de pages se réduit au fur et à mesure des parutions.




Profitant dans doute de la sortie du western spaghetti de Sergio Corbucci et Gastone Moschin, « Le Spécialiste » avec Johnny Hallyday en vedette, Dans ce western assez conventionnel, Hud le cow-boy se rend à Blackstone pour venger son frère. Jean Tosan et Alain Schwartz ont lancé leur journal grand format mais en oubliant de consacrer au moins un article au chanteur-acteur. Toutefois, la sortie du film s’est accompagnée d’une adaptation (inachevée) en bande dessinée par le grand Jijé (alias Joseph Gillain), avec la collaboration de son fils Philipp, sous le titre Hud, le spécialiste (8 planches seulement sont parues).   


        Les couvertures de "Salut les copains" concernant Johnny Hallyday sont bien connues. C'est pourquoi je n'en reproduis qu'une, celle du numéro 10. J'ajouterai celle d'un numéro de "TOP Réalités Jeunesse", un bimensuel moins connu. Cette photo de Johnny Hallyday à cheval évoque probablement le western camarguais de Noël Howard "D'où viens-tu Johnny ?" tourné en Provence en 1963 et dans lequel Johnny Hallyday chante : "Pour moi la vie va commencer" sur des paroles de Jean-Jacques Debout.








samedi 10 février 2018

Sartre, les illustrés; la censure et "Les Mots"


Jean-Paul Sartre, les illustrés, la censure et Les Mots

Pourquoi diable, la revue de Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes, a-t-elle choisi deux fois (en 1949 et en 1955) de publier des articles d’auteurs traduits pour condamner les illustrés, c’est-à-dire  la bande dessinée.
La première fois, ce fut dans son n° 43 de mai 1949 à travers un article attaquant les « comics » d’une façon délirante, voire démentielle, en tout cas exagérée. Ce n’est pas un hasard si ce fut deux mois avant l’adoption par le Parlement français de la loi scélérate du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse (dont il faut relire l’absurde Article 2 qui permet d’attaquer n’importe quel écrit).


Les responsables de la dite revue, sans doute sous la pression de leurs amis communistes. (Ils en étaient souvent restés aux propos de Georges Sadoul datant de 1938, jugeant les illustrés comme des « condensés de crimes »). Les dirigeants des Temps Modernes auraient été bien inspirés de se documenter sur l’auteur de Psychopathologie des comics (traduction flatteuse de Not For Children) de Gershon Legman (1917-1999).
Il s’agit comme l’indique aujourd’hui sa fiche Wikipédia, d’un auteur grivois, véritable obsédé sexuel, censuré pour ses propres écrits pornographiques et qui « ne jouit pas de toutes ses facultés » comme l’écrivaient en 1997 Harry Morgan & Manuel Hirtz dans leur ouvrage commun : Le Petit Critique illustré.
Selon Legman qui assure que la génération américaine postérieure à 1950 ne sait pas lire et les « comic-books » donnent aux enfants « un cours complet de mégalomanie paranoïaque ». Ils véhiculent « les mêmes traits d’homosexualité et de sadisme que dans le nazisme » et Wonderwoman semble être pour lui une lesbienne.


Quand le docteur et psychiatre Fredric Wertham, en octobre 1955,  publie dans le n° 118 de la revue Les Temps Modernes (dont Jean-Paul Sartre est toujours le directeur) des extraits de son ouvrage  Seduction of the innocent sous le titre Les « crime comic books » et la jeunesse américaine, il reprend, sans preuve, la fameuse accusation faite aux bandes dessinées et maintes fois reprise de favoriser la délinquance juvénile. L’article aura d’autant plus de poids que Wertham, plutôt malhonnête, ne distingue pas les bandes dessinées classiques des « crime comic books » qu’il illustre de cases choisies et sorties de leur contexte. (L’Amérique qui n’en a pas fini avec McCarthy a adopté le Comics Code en 1954.)      


C’est ainsi, en tout cas, que Jean-Paul Sartre s’est fait le complice des censeurs des illustrés et de la bande dessinée, se mettant au même rang que feu l’abbé Bethléem, et reniant implicitement ses propres lectures d’enfance faites dans Cri-Cri, L’Épatant (publiant déjà Les Pieds Nickelés de Louis Forton), Les Trois Boy-scouts ou Le Tour du monde en aéroplane d’Arnould Galopin. Ces lectures d’images merveilleuses et fascinantes, il les confesse plus tard dans Les Mots (1964), une autobiographie si forte qu’elle aurait conduit, selon certains, à l’obtention du Prix Nobel (refusé par l’auteur).


Il apparaît ainsi pour l’instant comme le défenseur d’une culture élitiste bourgeoise, celle de son grand-père Charles Schweitzer, trahissant à la fois sa mère Anne-Marie complice de ses lectures d’illustrés et ses jeunes années revisitées plus tard dans l’autobiographie Les Mots.

Pour quels motifs aurait-il pu changer d’opinion sur le sujet évoqué dans le livre Les Mots, paru en 1964 mais dont il corrige les épreuves en avril 1963 ? La bande dessinée a globalement toujours mauvaise presse mais en 1963 Jérôme Peignot publie chez Denoël le recueil Les Copains de notre enfance (mais l’anthologie de François Caradec I Primo eroi n’a pas franchi les frontières de l’Italie !). En France, Francis Lacassin (déjà auteur en 1963 d’un Tarzan, mythe triomphant, mythe humilié dans la revue Bizarre), crée le Club des bandes dessinées avec Alain Resnais, Evelyne Sullerot, Jacques Champreux, Pierre Couperie, Jean-Claude Forest et Jean-Claude Romer. Le Club diffuse le bulletin illustré Giff-Wiff.
Il serait sans doute naïf de croire que ces petits faits éditoriaux, pas plus que la naissance de Pilote en 1959 ou le succès populaire grandissant de Tintin et d’Astérix aient pu avoir une quelconque influence sur les opinions de Jean-Paul Sartre qui reparlera néanmoins de ses illustrés dans le documentaire d’Alexandre Astruc et Michel Contat : Sartre par lui-même en 1972.