jeudi 17 avril 2014

"Lecture Junior" chez Gallimard, une collection trop tôt disparue

"Lecture Junior" (1992-1996) : originalité et sens esthétique mal récompensés

« Le cercle des collections disparues » doit aussi évoquer des collections relativement récentes. C’est le cas de "Lecture Junior" dont on pouvait encore acquérir certaines parutions à la fin du XXe siècle. Il s’agissait d’une collection exceptionnelle tant par la qualité du papier, l’originalité du format que par le choix judicieux des meilleurs auteurs et illustrateurs. 


Avec une grande hardiesse éditoriale, Gallimard Jeunesse lance la collection "Lecture Junior", destinée aux 9-15 ans, ne publiant que des inédits, d’abord avec une 1ère de couverture sans titre ni auteur. Il s'agit rien moins, pour les jeunes lecteurs, dès 9 ans, que de provoquer « la rencontre avec la littérature (...) en douceur ». Les moyens mis en œuvre sont considérables et les concepteurs ont imaginé « un livre beau sans être intimidant ». La maquette est neuve, originale : l’illustration de couverture pleine page, d’une grande qualité esthétique, sur papier souple, ouvre sur « de belles pages foisonnantes d’illustrations en couleur, parfaitement intégrées au texte ». L’élégante typographie offre une grande lisibilité. Le papier est souple et résistant. « Des vignettes parcourent le récit comme des croquis accompagnent un carnet de voyage ». On en oublierait presque qu'il s’agit d’ouvrages de « poche », oubli conforté par le format 140 sur 190 mm, alors innovant et copié par d'autres, plus tard, au cours de la décennie. Bien vite cependant, titres et nom d’auteur reviendront à la une. Il faut dire que le romancier avait pu paraître évincé par l’illustrateur, et un équilibre pouvait sembler rompu entre le texte et l’image, au profit de cette dernière.


L’important est que l’on a publié là, le plus souvent grâce à des inédits, les plus grands noms de la littérature jeunesse, ceux qui seront les « classiques de demain », tels Roald Dahl (Le Livre de l’année), Leon Garfield, avec La Montre en or, Janni Howker dont on traduit Le Secret du jardin, Dick King-Smith qui peut manifester ses préférences pour son « animal favori » : le cochon. De lui, on publie généreusement As de Trèfle, le porcelet passionné de télévision, Cul Blanc, autre porcelet, à l’humour indispensable pour supporter d’être la mascotte d’un régiment. Le Nez de la Reine, Les Souris de Sansonnet et Les Longs museaux (des renards), montrent l’étendue de la palette animalière pleine de fantaisie d’un admirateur de Kipling et Beatrix Potter. C’est l’auteur le plus présent avec 8 volumes. Auteur déjà réputé en 1982 pour Cheval de guerre (War Horse, chez Heineman), Michael Morpurgo qui gratifie la collection de quatre récits (dont Le Roi Arthur) publie des romans parfois graves, tels le roman de guerre Anya, et l’épopée poétique, Le Roi de la forêt des brumes (1992), très bien illustrée par François Place. Il faudrait encore citer Janni Howker, Rosemary Sutcliff, Diana Wynne Jones, Elizabeth Laird…


Parmi les auteurs français, on remarque Marie Farré et ses récits Pourquoi pas Perle ? et Ne jouez pas sur mon piano !, Evelyne Brisou-Pellen (Le Fantôme de Maître Guillemin), Jean-Paul Nozière (Tu vaux mieux que mon frère), Daniel Pennac, dont on édite les quatre épisodes de Kamo, parfois sous d'autres titres que ceux de leur prépublication, Patrick Süskind et L’Histoire de Monsieur Sommer, Michel Tournier et La Couleuvrine moyenâgeuse, ces trois derniers auteurs ayant vu leurs récits respectifs, prépubliés dans la revue Je bouquine. Des talents nouveaux apparaissent : ceux de Bernardo Atxaga, dont l’ouvrage inttendu Mémoires d’une vache, de l’Anglaise Michelle Magorian dont on traduit les deux tomes de Bonne nuit, monsieur Tom, de Hugo Verlomme, un passionné de la mer, surfant sur les mots pour magnifier L’Homme des vagues. Ce qui fixe ces livres dans les mémoires, c’est, outre la saveur des récits, la qualité des illustrations, humoristiques ou réalistes, dues aux meilleurs crayons et pinceaux de la génération. Les Anglo-Saxons Quentin Blake, Anthony Browne voisinent avec les Français Roger Blachon (1941-2008), Serge Bloch, Jean-Philippe Chabot, Jean Claverie, Jean-Claude Götting, Miles Hyman, Claude Lapointe, Georges Lemoine, D. et C. Millet, François Place, Jame’s Prunier ou Jean-Jacques Sempé... On donne d’ailleurs la parole aux auteurs et illustrateurs à la fin de chaque volume.


Il est bien dommage que cette collection aussi séduisante que novatrice n'ait pas pu continuer d’exister telle quelle (elle n’a duré que de 1992 à 1996, lorsque 64 titres sont publiés, le n° 64 étant Monsieur Personne de Michael Morpurgo). Certes, les textes subsistent puisqu'ils ont en général été repris par la durable collection "Folio Junior", mais le concept bien que fortement novateur, dû au regretté Pierre Marchand (1939-2002), et les illustrations en couleur, auront malheureusement disparu. 




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