vendredi 17 février 2012

1952 : Livres et journaux jeunesse. Tentative d'inventaire (1)



1952 : Tentative d’inventaire des livres et des journaux pour la jeunesse (1)

Des lectures sous l’étroite surveillance des éducateurs et des groupes idéologiques

Pourquoi s’attarder sur les livres et les journaux pour la jeunesse en 1952 ? D’abord parce qu’il peut être intéressant de faire un bond en arrière de 60 ans.
Cette année est-elle particulièrement riche en la matière ? En apparence, certainement pas ! C’est justement parce qu’il s’agit plutôt d’une année de transition avant 1953 qui sera une année particulièrement riche en collections nouvelles, que nous faisons le pari de faire une sorte d’inventaire (non exhaustif mais le plus complet possible) de cette année. Ce panorama n’est pas facile à établir compte tenu de l’absence à l’époque d’une critique régulière des livres pour la jeunesse. Il n’existe guère que des articles de presse à l’occasion des fêtes de Pâques ou en vue des étrennes, moments privilégiés des ventes de livres.
Une telle tentative serait impossible pour établir le bilan d’une année du nouveau XXIe siècle (plus de 8000 livres jeunesse parus en 2010) mais pour ce qui est de l’année 1952, il est difficile de répertorier 300 livres, m^me si l’on intègre des rééditions et de nouvelles éditions d’ouvrages parfois beaucoup plus anciens (par exemple, les fictions de la collection « Colin-Maillard", chez Armand Colin. Même si l’on ajoute des documentaires pour adultes pour compenser la rareté des documentaires pour la jeunesse.
Néanmoins, dans cette année tout à fait banale, on découvre des livres dont on n’a jamais parlé. Puisqu’ils ont disparu peu à peu au cours des désherbages successifs des bibliothèques, on peut malgré tout les redécouvrir grâce à des sites comme ebay, priceminister, livre.com, amazon…
Parmi les nouveautés éditoriales de 1952, on ne note guère que la collection « Jamboree », publiée par l’éditeur catholique Spes. Elle permet surtout à Jean-Claude Alain de publier ses romans sous divers pseudonymes, en particulier la trilogie du Prince d’Hallmark (trop proche, sans doute, de la saga du Prince Eric pour être publiée dans « Signe de piste »).
Le contexte historique, politique et sociologique est toujours aussi lourd, voire glacial. Rien de plus trompeur que la formule de Jean Fourastié : « les trente glorieuses », pour évoquer cette année 1952 même si La France est en pleine reconstruction (et le plan Marshall américain s’est révélé une aide précieuse). La France reste encore dans l’ensemble un monde précaire, catholique et rural, et dans d’autres régions plus urbaines, ouvrier et parfois communiste. Le pouvoir d’achat, en particulier celui des jeunes, reste bien modeste, pour ne pas dire inexistant, comme en témoignerait le maigre contenu des tirelires.
Preuve que les temps difficiles sont encore là : les appels au secours de l’Abbé Pierre dès 1952, (c’est cette année-là qu’il participe à « Quitte ou double ? », la fameuse émission de radio animée par Zappy Max).
Peu d’enfants accèdent aux études supérieures et la France reste celle du certificat d’études primaires, le fameux « certif », dont la remise donne lieu à des cérémonies officielles au chef-lieu d’arrondissement. Certains enfants sont davantage heureux de devenir, à cette occasion, enfin possesseurs d’un vélo. Les bacheliers ne sont que 32 000 en 1950, (5 % de la classe d’âge).
Le climat politique reste lourd. En ces temps de guerre froide, la chasse aux sorcières et le « maccarthysme » à l’Ouest oblige Charlie Chaplin a venir se réfugier en Europe (Jean-Claude Forest dessine alors Charlot dans le journal Vaillant)et Georges Sadoul publie Vie de Charlot aux Editeurs Français Réunis). Tandis qu’en France la censure frappa la pièce de Roger Vailland qui évoque la guerre de Corée: Le Colonel Foster plaide coupable, des procès iniques ont lieu à l’Est, comme celui de Slansky en Tchécoslovaquie. Les menaces de nouvelle guerre mondiale ne risquent pas d’être apaisées quand on assiste aux attaques d’avions occidentaux par les Soviétiques. Rideaux de fer, de bambou et de barbelés se multiplient dans un monde où les guerres idéologiques sévissent. Le mythe de Staline est encore puissant en France.
Dans ce monde manichéen, suspicieux, coupé en deux, chacun, sous peine d’exclusion sociale, est poussé à choisir son camp. Les excommunications politiques ne sont pas rares, (comme celles d’André Marty et Charles Tillon, cadres exclus des instances du parti communiste en 1952), et l’Eglise catholique a mis les œuvres de Gide à l’Index et veut supprimer les prêtres ouvriers. Les expérimentations atomiques qui se multiplient alourdissent le climat où l’on ne sait vraiment si l’on vit en état de guerre possible ou de paix durable.
Les guerres coloniales, rarement nommées ainsi, se succèdent, sans susciter beaucoup d’opposition et les velléités d’indépendance, en Afrique du Nord, sont sévèrement réprimées, en particulier en Tunisie.
En 1952, l’investiture d’Antoine Pinay amène un peu de stabilité (au moins jusqu’à la fin de l’année !) dans une vie politique qui demeure agitée. On feint d’ignorer les craquements qui affectent l’Union française. Le conflit s’enlise en Indochine dont on cache les victimes. L’opinion préfère se laisser séduire par les progrès techniques d’une ère où la technologie est reine. Parfois pressée de chasser les ombres de la guerre, elle est marquée par la démocratisation des appareils ménagers et de l'automobile, (mais il faut attendre parfois un an à dix-huit mois pour obtenir la modeste voiture de ses rêves). Le scooter, (au cœur de la fiction de Paul Berna : Vacances en scooter en 1952), l’hélicoptère et le « vélosolex », très présents dans les B.D., la publicité et les reportages, fascinent grands et petits.
Le plan Courant hâte la construction de logements et l’on voit s’élever les premières H.L.M. La fée électricité a droit à tous les honneurs : inauguration de barrages à Chastang, construction à Serre-Ponçon et la centrale de Donzère-Mondragon a « dompté » le Rhône. Qu’importe si cette énergie a tué en 1952 le village de Tignes dont on détruit l’église, l’école et le cimetière à coups de bulldozer, devant des « gens de peu » qui, eux, savent rester dignes. Paradoxalement, alors que les manuels de lecture, d’ailleurs tristes à mourir comme Le Livre unique de français de Dumas et le Bled d’orthographe cultivent l’amour du terroir, de « l’aire où on bat le blé », les petits paysans sont déconsidérés. Ils ne sont pas davantage respectés dans l’actualité, comme le prouve l’affaire Dominici, significative du mépris exercé contre les petits paysans accrochés à leur terre, que dans les fictions cinématographiques. Ridiculisés en poursuivant Fanfan-La-Tulipe qui détrousse leurs filles derrière les bottes de paille, ils étalent encore leurs querelles mesquines et intestines en pleine guerre mondiale dans Jeux interdits.
L’enfance bridée et privée de parole est sous la triple et ferme autorité des parents, des instituteurs, de l’Eglise (ou du parti communiste). L’accès au temps libre n’est possible qu’après les devoirs souvent faits sur la toile cirée, juste avant le nouveau « formica » de la table de la cuisine, où trône le poste de radio qui ne diffuse que des émissions à destination des adultes, telles « La Famille Duraton », « Reine d’un jour » ou « Le Passe temps des dames et des demoiselles » ! En dehors de la région parisienne, la télévision (très coûteuse) est quasi inexistante et c’est grâce au poste de radio que l’on suit le drame du Flying Entreprise, celui du spéléologue Marcel Loubens, décédé au fond du gouffre de la Pierre Saint-Martin, ou plus simplement le Tour de France. D’ailleurs les journaux et revues consacrent davantage de place à la « radiodiffusion » qu’aux programmes squelettiques de la nouvelle « lucarne ».
Les loisirs sont rares, surtout à la campagne. Les enfants sont assidus au « caté » du jeudi, soit par ferveur religieuse, soit par devoir, soit aussi parce qu’au « patronage » du jeudi après-midi, ils pourront taper dans un vrai ballon en cuir ou assister à des projections de films fixes des aventures de Tintin ou d’Oscar et Isidore, …entrecoupées de vues de propagande sur « la relève » des prêtres. Les citadins qui n’ont ni la chance ni l’argent pour aller au cinéma fréquentent le scoutisme ou les Francs et franches camarades, des mouvements où se préserve l’idéal de fraternité et de tolérance et à l’appel à la solidarité, nés dans l’après-guerre.

Une réalité « culturelle » rarement appréhendée dans sa complexité

Est-il possible de connaître vraiment les lectures de ceux et celles qu’on appelle encore des « enfants » au cours de l’année 1952 ? L’analyse de la presse juvénile, essentiellement hebdomadaire, lue avidement et dans l’immédiateté est plus facile et crédible, (encore faudrait-il tenir compte des reliures d’anciens numéros de journaux et d’illustrés) que celle des romans et des contes. Souvent couverts de jaquettes mobiles, vite cachées sous le papier bleu uniforme et scolaire des couvertures, les livres restent alors disponibles chez les libraires durant plusieurs années quelle que soit leur date d’impression, (dont nul ne se soucie).
Le décalage entre la sortie d’un livre et l’adoption de sa lecture est souvent aussi grand que celui qui existe entre la sortie parisienne d’un film et son arrivée tardive en province, (au point que les journaux juvéniles titrent leur critique : « Les films que nous avons vus pour vous »). Les éditeurs de journaux le savent bien puisque L’Intrépide publie une très longue adaptation de Fanfan la Tulipe en B.D et Bayard fait de même avec le film : Quand les vautours ne volent plus, seulement adapté en 1953.
Dominique Veillon, dans son ouvrage récent : Nous les enfants, 1950-1970, rend brièvement compte d’une enquête effectuée dans les écoles de Dijon au cours du 1er semestre 1953.
Sont cités les Contes de Grimm, constamment réédités et qui bénéficient de la sortie, (tardive en France), du dessin animé Blanche Neige de Walt Disney. Outre La Comtesse de Ségur, (Les Malheurs de Sophie), et Jules Verne (L’Ile mystérieuse, Voyage au centre de la Terre, De la Terre à la Lune), constamment cités quelles que soient les époques, on retrouve Alice au pays des merveilles, remis au goût du jour par le dessin animé, à Paris en décembre 1951, (on ignore encore la réédition de Peter Pan chez Hachette, puisque le dessin animé sort à Noël 1953). On lit Les Misérables dont l’édition échelonnée en 3 tomes, dans la "Bibliothèque verte", et l’inusable collection "Contes et légendes" des éditions Nathan, constamment enrichie depuis sa création en 1916. L’orphelin Rémi de Sans famille trouve les mêmes lecteurs que Heidi, bénéficiant de l’adaptation filmique Heidi et Pierre de Luigi Comencini, présentée dans les journaux pour jeunes.
Croc-blanc est, davantage que Michael, Chien de cirque et Jerry dans l’île du même Jack London, un « classique » animalier incontournable de la « Bibliothèque verte », (comme Bari chien loup de James Oliver Curwood, illustré en "Idéal Bibliothèque" depuis 1952). Seuls ouvrages cités du XXe siècle : un récit publié en 1947 dans la série « Nature » de la collection Heures joyeuses, (Sentinelles des pics neigeux) et Lassie, chien fidèle, adapté dans l'"Idéal Bibliothèque" en 1952.
Si l’actualité éditoriale avait porté ses fruits, sur ce thème, on aurait dû trouver les histoires animalières d’André Demaison, (Poupah l’éléphant, la Colère des buffles…), de René Guillot (Bêtes sauvages mes amies, Contes des mille et une bêtes)
En fait, le thème « nature et animaux » n’arrive pas en tête en 1952 dans la production éditoriale. La mer, (alors bien cruelle dans l’actualité de la Hollande), et les récits maritimes de toutes sortes viennent en 1ère position. (Si les textes sont bien tolérés, la bande dessinée belge Surcouf terreurs des mers est la cible des censeurs)

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